Interview de David Lahille, Directeur associé Crop and Co

Publié le par Jerome Dorbes

David lahille, co-fondateur et directeur associé du cabinet de conseil en performances achats Crop and Co, professeur auprès de l' EM Lyon et du MAI Bordeaux, a accepté de répondre à mes questions. 


1. Beaucoup d’entreprises ont aujourd’hui compris l’intérêt d’un service achat compétent qui peut efficacement contribuer au résultat et à la stratégie de l’entreprise. Dans ce contexte, quels sont selon vous les principaux challenges de la fonction Achat ?

On ne peut pas parler de challenges en absolu. Il faut garder en mémoire que la fonction achats est une fonction support de l’entreprise. Alors ses challenges sont directement au niveau de maturité achat de l’entreprise. Pour les entreprises les plus avancées que nous avons pu croiser, le challenge est de faire raisonner tous les décideurs (business decision makers) en intégrant la dimension « fournisseurs » ou « ressources externes ». Car il faut garder à l’esprit que la performance de l’entreprise réside dans le choix que font les managers pour définir la meilleure combinaison entre les ressources internes et ressources externes.


2. L’actualité (AstraZeneca, Airbus, Kronembourg…) nous enseigne que l’externalisation d’activités de production ou de fonctions support touche de plus en plus d’entreprises. Pensez-vous que la Fonction Achats pourrait être efficacement intégralement sous-traitée ?

Intégralement sous-traitée ?... Non, Absolument pas !... je m’explique : les achats constituent une science du management qui apporte sa valeur ajoutée à l’entreprise. Les acheteurs sont avant tout des experts des marchés amont de la chaîne de valeur dans laquelle l’entreprise s’inscrit. Les achats fournissent un état actuel des marchés et une vision prospective qui permet à l’entreprise de prendre des décisions quand à la mise en œuvre des ressources les plus stratégiques dont elle a besoin.
Par contre, l’acheteur doit faire une discrimination des ressources qu’il doit procurer à l’entreprise ; et pour les ressources procurant moins de valeur ajoutée, et les moins complexes à procurer, il peut faire appel à la sous-traitance des achats. C’est ce que font de nombreuses entreprises en s’adressant aux centrales d’achats ou autres spécialistes des produits ou service dit « produits de classe C »..

3. Que pensez-vous de l’état de la fonction Achat en ce qui concerne les achats de sous-traitance de production, dans les entreprises aujourd’hui ?

Il faut garder en mémoire que l’entreprise, quelle soit publique ou privée, où qu’elle soit installée dans le monde, évolue dans une économie de marché, et cette situation la conduit « irrémédiablement » à servir ses clients avec plus de performance (de qualité), plus vite (délai court) et moins cher (réduction des coûts). Alors, les achats doivent procurer les ressources externes dans cette même dynamique. Les produits de l’entreprise n’échappent pas à la courbe de vie dont la fréquence de renouvellement est animée par l’innovation du marché. Lors de la phase de lancement d’un produit, l’entreprise bénéficient de niveau de prix qui permettent une production dans nos contrées, mais très rapidement, la concurrence nous conduit à rechercher des zones de production « LCC » (« leader cost countries », baptisées auparavant « low cost countries »). Ainsi, on constate que l’acheteur va déplacer les fabrications vers l’orient, dans les pays d’Europe de l’est, à l’est de l’Europe de l’est puis en Chine ou en Asie du sud est. Ce mouvement doit être sans cesse challengé en accompagnant toute les décisions d’une analyse stratégique incluant des études de coût complets (TCO : total cost of ownership). C’est en stimulant leur capacité d’innovation que les entreprises peuvent maintenir les usines de nos pays, parfois baptisées d’usines laboratoires.

4. La fonction Achats de sous-traitance, axée sur des achats de projets sur mesure, requiert elle a votre avis des acheteurs spécifiquement formés ?

Le rôle d’acheteur projet suscite des compétences très particulières. A mon avis, il doit être un acheteur confirmé pour pouvoir faire bénéficier l’équipe de ses expériences sur les marchés amont. Ayant été chef de projet, je peux vous garantir que l’équipe apprécie sa capacité à savoir échanger sur le plan technique, sur tous les achats nécessaires au projet et surtout sur les plus stratégiques. L’acheteur projet doit être aguerri à toutes les technique de management de projet qui lui permette de synchroniser les fournisseurs aux évolution du projet (Planning, travail en équipe, réactivité, tâches, gestion de ressources, analyse de risque, prise de décision, …). Si l’ensemble de ces qualités est maîtrisé,  vous avez un « bon » chef de projet. Pour avoir un « beau » chef de projet, il faut que cette personne soit dotée d’une bonne capacité de leadership, d’esprit « entreprenarial ».
OUI, les acheteurs projet doivent avoir une formation spécifique, mais en plus il doivent posséder ces capacité de leadership, ce qui en fait des oiseaux rares, je vous le concède !...

5. Les achats -de sous-traitance ou en général les achats de production- évoluent de plus en plus vers des relations de partenariat. Comment a votre avis peut-on mesurer le partenariat avec un fournisseur?

Partenariat ?... je préfère me tenir à la définition octroyé par la norme, entre autre, elle précise que les situation de partenariat doivent faire appel à des objectifs communs aux deux entreprises. Dans ce cas, la sélection du « partenaire » est longue et laborieuse car vous partez en business pour une longue durée avec une nécessité absolu de réussite.
Pour une partie comme pour l’autre, le succès se mesure dans le business réalisé. On utilise les indicateurs relativement classiques de chiffre d’affaires, croissance du chiffre d’affaires, marge, croissance de marge, nombre de personnes employées, et tous les paramètres de la boîte à outils du décideur (ou/et de son financier) qui rassurent les investisseurs (qui sont souvent ceux qui prennent le plus de risque).

6. « Faire ou Faire faire » est une question stratégique pour une entreprise. Comment les achats peuvent-ils participer à construire un modèle économique d’aide à la décision pour répondre à cette problématique ?

OUI « faire ou faire faire » auquel je rajouterais « acheter » est une question stratégique pour l’entreprise.
OUI les acheteurs doivent s’impliquer dans le développement du modèle économique ou modèle de coût complet, c’est une de leurs compétences majeures, ça fait partie de leur gamme de base. Leur contribution dans cette démarche se décline sur deux axes :
- Leur support aux analystes de la solution interne : l’acheteur communique les meilleurs coûts des ressources externes nécessaires à la mise en œuvre de l’activité par l’entreprise
- La définition de la solution externe : Les acheteurs recherchent et font évaluer les solutions disponibles sur le marchés pour identifier la plus compétitives au ragard des exigences de l’entreprise. Ils doivent bâtir le modèle économique avec le fournisseur accompagné par le centre d’achats incluant experts techniques, logistiques, …etc.
Attention ! le modèle économique n’est pas le seul élément ou le plus important d’une analyse de « make – make make – buy ».

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